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Cet article est une sorte de suite à Naissance d'une passion publié fin 2006 où j'expliquais comment j'étais tombé dans le chaudron de la musique celtique fin 1972.
Plus de 40 ans après, je suis donc toujours là animé par cette passion qui reste le "fil rouge" de mon existence.
Pour la première fois voici donc une interview de moi interrogé par moi-même.
Cela peut paraître prétentieux mais je ne vois pas qui d'autre que moi pourrait répondre aux questions que j'ai envie de me poser (!?)
N.B. le tutoiement sera de mise car Jean-François et moi on se connait depuis si longtemps.
Et c'est parti !
Rakaniac : Ainsi donc, tout a commencé fin 1972.
JF : oui et pour ceux qui n'ont pas lu "Naissance d'une passion" c'est parce qu'Alan Stivell était à la mode en France et partout en Europe que j'ai commencé à m'intéresser à lui.
Je pense bien que le détonateur fut son fameux concert à l'Olympia en févier '72. A partir de ce moment, sa renommée a largement dépassé les frontières de la Bretagne.
On entendait Alan sur toutes les radios en Europe, on le voyait à la télévision.
A partir de ce moment, il a fait de très nombreuses tournées un peu partout.
Rakaniac : C'est donc lui qui est à l'origine de la première vague Bretonne ?
JF : Oui, il était même le seul au début, puis on a commencé à parler des Tri Yann et de Gilles Servat...
Ensuite il y a eu cet engouement pour la musique Bretonne et Celtique et d'autres artistes se sont fait connaître à leur tour.
Ici je parle pour la Bretagne et donc pour l'Europe de l'Ouest car c'est clair que les Irlandais et les Ecossais n'ont pas attendu Alan stivell pour faire connaître leur musique.
Rakaniac : De même, ce n'est pas Alan qui a inventé la musique Bretonne.
JF : Non, certainement pas, la musique traditionnelle est jouée depuis très longtemps en Bretagne.
Dans les années '50 il y a eu cependant une grande prise de conscience et de profonds changements.
Rakaniac : ah ?
JF : la musique traditionnelle étant le fruit de la transmission orale, un certains nombres de Bretons ont eu peur qu'une partie de ce patrimoine soit perdu avec la disparition des anciens musiciens et chanteurs.
De nombreux collecteurs se mirent alors à sillonner la Bretagne à l'écoute de musiciens amateurs afin d'enregistrer ou de transcrire des partitions afin de conserver des centaines d'airs et de chansons parfois peu connues.
Ce collectage est toujours d'actualité aujourdhui avec l'association DASTUM qui existe depuis 1972.
Parrallèlement à cela, il faut bien sûr parler (déjà dans les années '40) de l'assemblée des sonneurs Bodadeg Ar Sonerion (B.A.S.) présidée par Dorig Le Voyer, association de musiciens qui vont d'une part fabriquer des instruments et d'autre part faire des collectages.
Membre du B.A.S., Polig Montjarret (également sonneur) fut un des grands artisans de ces colletages.
Musicien, arrangeur, compositeur, la musique bretonne lui doit beaucoup.
C'est à la B.A.S. que naquit en 1946 l'idée de la création des bagadou qui n'existaient pas auparavant.
Inspiré par le modèle des pipe-bands écossais, le bagad, en plus des cornemuses et des caisses claires comprend également des sonneurs de bombardes.
Rakaniac : oui, ces formations musicales sont impressionnantes.
JF : Au départ, les bagadou ne jouaient que des musiques traditionnelles (principalement des danses)
mais à présent des musiciens et arrangeurs composent des airs pour les bagadou.
Et ce sont même parfois des musiques très sophistiquées.
Ces dernières années, des gens comme Roland Becker, Jean-Louis Hénaff (Bagad Kemper) ou André Le Meut (Bagad Ronsed-Mor)... ont beaucoup fait évoluer la musique des bagadou.
Rakaniac : en dehors des musiciens, il y a aussi les chanteurs.
JF : Oui, c'est d'ailleurs valable pour toutes les civilisations, la transmission orale est à l'origine de tout type de communication de l'information.
Bien au delà de la musique, on retrouve ce mode de communication dans les contes, dans l'apprentissage de n'importe quelle formation dans les civilisations anciennes.
Bien avant qu'on aie inventé l'écriture mais aussi bien après car jusqu'il y a deux siècles une partie de la poplulation ne savait ni lire ni écrire.
Les chansons traditionnelles se transmettaient donc de bouche à oreille.
Un enfant les avaient apprises de ses parents et de ses grands-parents puis les faisaient évoluer à son tour.
Rakaniac : les faisaient évoluer ?
JF : oui parce que tout le monde n'a pas les mêmes possibilités vocales. Et que quelqu'un avec un plus grand registre vocal va peut-être étoffer une mélodie ou peut-être la simplifier s'il est moins doué et n'arrive pas à chanter certaines notes.
A partir de ce moment, les mêmes chansons vont se retrouver dans tel ou tel village mais interprétées de manière différente.
Parfois avec des paroles modifiées aussi parce que par exemple, tel enfant apprenant une chanson de son grand-père n'a pas tout compris ou tout retenu et va mettre d'autres paroles à la place.
Comme rien n'était écrit et qu'il n'y avait pas de partitions, il pouvait y avoir de nombreuses variantes.
Rakaniac : c'est à partir du moment où il y a eu les collectages dont tu parlais plus haut que les choses ont commencé à se structurer.
JF : Oui.
Entre 1839 et 1893, le conte Hersart de La Villemarqué va publier diverses versions du Barzaz Breiz.
Il s'agit d'imposants ouvrages de chansons populaires collectées par lui et sa mère à travers toute la Bretagne.
Des chants traduits en Français avec parfois des versions compilées ou modifiées par La Villemarqué lui-même.
Un travail remarquable qui reste une référence encore aujourd'hui.
Le Barzaz Breiz et d'autres livres de collectage seront, en partie, une source d'inspiration pour les chanteurs traditionnels d'aujour'hui.
Rakaniac : à partir de quand peut-on parler de "professionnels" de la chanson bretonne ?
JF : à partir de 1956, les soeurs Goadec ont commencé à animer des festou-noz en chantant à trois en "kan ha diskan".
Bientôt suivies par les frères Morvan (également trois) qui après plus de 50 ans continuent de perpétuer cette tradition aujourd'hui.
Depuis les années '70 des chanteurs comme Yann-Fanch Kemener (groupe Barzaz puis carrière solo) et Erik Marchand (groupe Gwerz puis carrière en solo) vont donner des lettres de noblesse à ce genre musical.
Toujours actifs aujourd'hui, ces deux terribles chanteurs ont fait de nombreux émules dont Denez Prigent est le représentant le plus connu.
Rakaniac : Et au niveau des instruments ?
JF : Bien sûr la Bretagne est connue pour ses binious (petite cornemuse avec un seul bourdon) et ses bombardes.
Pas seulement dans les bagadou mais aussi à travers les sonneurs de couples (biniou et bombarde) qui constituent une autre approche de la musique traditionnelle en matière de danses Bretonnes.
J'évoque tout cela dans mes articles Bombardes et sonneurs (1) (2) (3) que je t'invite , cher Rakaniac, à les consiltuer si tu désires plus d'informations sur le sujet.
A côté de cela, il y avait partout des violonistes et des accordéonistes qui sillonnaient la Bretagne pour faire danser les amateurs lors des mariages et des autres fêtes populaires.
C'est à partir du "Folk revival" des années '70 qu'on a commencé à utiliser toute sortes d'instruments pour interpréter la musique traditionnelle.
Si Alan Stivell avait directement débuté en mélangeant la bombarde et le guitare électrique, les Tri Yann par exemple jouaient uniquement sur des instruments acoustiques à leurs débuts (guitare, dulcimer, psaltérion, whistle, bombarde, contrebasse, banjo...)
C'est seulement petit à petit qu'ils se sont "électrifiés" en introduisant basse, guitare électrique et claviers dans leur musique plus la batterie qui apportait aussi d'autres sonorités.
D'autres groupes des années '70 étaient uniquement acoustiques comme les Leprechauns ou les Skofériens
qui participèrent au Festival de Kertalg en 1972.
Pareil pour le groupe "An Triskell" des frères Quefféléant (deux harpes celtiques, guitare, flûte, cornemuse...et juste un peu de claviers) ou pour le groupe Gwendal (flûte traversière, violon, guitare, mandoline...et une basse électrique quand même).
Glenmor s'accompagnait à la guitare pour mettre en valeur ses textes magnifiques avec parfois le concours d'un autre guitariste : Bernard Benoit.
Gilles Servat en faisait de même à ses débuts pour faire découvrir à la Bretagne sa poésie engagée.
A quelques exceptions près, ses musiques n'avaient d'ailleurs rien à voir avec le traditionnel, ses accompagnements musicaux non plus.
C'est seulement à partir de ses collaborations avec le groupe Triskell puis avec l'Héritage des Celtes que le grand Gilles donna une coloration plus "celtique" à ses chansons.
Dans les années '70 & '80 d'autres chanteurs-poètes comme Mélaine Favennec, Gweltaz Ar Fur, Louis Capart et Claude Besson privilégiaient aussi la guitare acoustique.
Ce dernier nous gratifiant en plus de disques instrumentaux interprétés au dulcimer et au psaltérion.
Rakaniac : Et pour les musiques à danser ?
JF : Pareil, on se rend compte encore aujourd'hui de l'impact de cette première "Vague Bretonne" lancée par Alan Stivell.
Parce qu'Alan avait fait un concert dans leur coin que Yann Goasdoué, Mélaine Favennec et les autres décidèrent de former un groupe de Fest-Noz, les Diaouled Ar Menez qui mélangeaient bombardes, accordéon, violon, guitare électrique, guitare basse.
Les Diaouled, un terrible groupe de musiques traditionnelles qui firent de bonheur de milliers de danseurs durant de très longues années.
Queques temps plus tard les Sonerien Du leur emboîtèrent le pas ajoutant le chant (kan ha diskan) aux musiques instrumentales.
Quarante ans après, ce terrible groupe est toujours là pour faire danser les jeunes et les moins jeunes sur des airs traditionnels ou des compositions.
Ensuite, ces deux groupes firent de très nombreux émules au fil des décennies suivantes : Ar Re Yaouank, Gwerz, Barzaz, Karma, Kornog, Pennou Skoulm, Skeduz, Follen, Strobinell...
Enfin, il faut bien entendu parler du F.I.L. (Festival Interceltique de Lorient) qui au départ (1971) était un championnat de bagadou.
"Festival des cornemuses" qui avait aussi accueilli à l'époque des artistes comme Gilles Servat, Alan Stivell et les Dubliners.
A partir de 1972, ce festival décide de s'ouvrir à l'Interceltisme et chaque année des artistes d'autres nations Celtes (Galice, Ile de Man, Ecosse, Irlande...) sont invités à se produire à Lorient.
Un festival (connu également pour sa "Grande parade des nations Celtes") qui n'arrête pas de grandir au fil des ans.
Organisé chaque année au mois d'août durant dix jours, le F.I.L. a dépassé la barre des 800.000 (!) spectateurs depuis 2010.
Les spectacles proposés sont très diversifiés et les artistes toujours plus nombreux à vouloir s'y produire.
A côté de cela, le festival de Cornouaille à Quimper et le festival des Vieilles Charrues (en partie consacré au folk) attirent également bon nombre d'amateurs de musique Celtique.
Rakaniac : Et ensuite, que s'est-il passé après cette Vague Bretonne des années '70 ?
JF : cher ami, c'est ce que nous verrons dans les prochains articles.
A suivre...